Noire petite histoire d'une nuit en pays totalitaire
J’inaugure cette nouvelle rubrique « nos couleurs » par une petite histoire dessinée par Marjane Satrapi. J’ai reproduit au format A4 une séquence de six petites images, à la gouache et à l’encre, noires. Elles se trouvent dans le tome 4 de Persepolis, l’Association, 2003. J’ai seulement changé la disposition des personnages et j’ai ajouté la dernière image qui fait intervenir les "gardiens de la révolution" (ou miliciens, comme vous voulez). Marjane Satrapi, elle, fait intervenir ces gardiens de la révolution « d’entrée de jeu » et conclut par la vignette vide de personnage, pour mieux nous laisser en suspens.
Je pourrais vous expliquer les raisons de cette course sur les toits d’une ville, en pleine nuit. Je préfère vous laisser imaginer. Vous connaissez la chute. Si vous souhaitez retrouver le début de l’histoire et son fin mot, je vous conseille de lire cette BD de la dessinatrice iranienne. Cette scène se déroule un soir où nous pourrions faire la fête, en toute liberté. Je ne dis pas qu’en Iran, les habitants s’en privent, au contraire… Mais voilà, nous décrit Marjane Satrapi, les « quelques risques » si certaines limites sont franchies. Quelles limites ? Eh bien à vous de les découvrir dans la BD, sinon dans le film Persepolis. Et si vous connaissez déjà l’œuvre de Marjane Satrapi, alors vous vous souvenez sans doute de cet extrait qui m’a frappé.
En de très courtes saynètes, parfois comiques, parfois tragiques, Marjane Satrapi est capable de suggérer l’absurdité d’un monde totalitaire. Et ses drames. Par ses dessins, si élémentaires qu’ils soient, elle sait insuffler la vie à l’intérieur de cadres rigides. Les personnages cherchent alors à s’échapper, et nous, lecteurs ou voyeurs, nous sommes ballottés avec eux. L’émotion que nous ressentons, la couleur noire nous y prépare. Ce que nous projetons dans la couleur noire est à la fois universelle (la peur, le mystère, l’horreur) et intime (l’introspection, les yeux fermés, la boîte à secrets). C’est aussi une couleur très utilisée dans l’art avec le clair-obscur, l’expressionnisme, les films noirs, la photographie… Par les contrastes entre blanc et noir, nous percevons une profondeur dans laquelle plonge notre imaginaire.
Le noir est aujourd’hui revêtu de beaucoup trop de significations pour nous en sortir. On peut rappeler, au terme de cette « noire petite histoire d’une nuit en pays totalitaire », l’une de ses significations premières, le deuil. Après la Toussaint, avant le 11 novembre, c’est un peu de circonstance.
Marjane Satrapi est celle qui m’a appris à redécouvrir le noir, à notre époque où l’électricité l’emporte et où l’or de cette couleur décline. Je me suis mis à reproduire certains de ses dessins pour préserver les émotions que j’avais ressenties à la lecture. Comme un enfant s’amuserait à se faire peur en se replongeant dans le noir complet.
Je mets des liens à d'autres de mes dessins sur mon blog qui s’inspirent de l’œuvre de Marjane Satrapi, ma dessinatrice préférée. Elle m’a fait redécouvrir le noir, la Perse et l’Iran.
Mon premier baiser de cinéma
S'instruire pour entretenir sa petite maison
Comme il me l'indique dans son précédent commentaire, Gari commence une série d'oeuvres en noir et blanc. L'occasion est trop belle : je mets un lien à sa création intitulée "Complémentaires humaines" pour prolonger cette évocation du noir. Certains diront qu'il n'y a plus de couleurs sur sa toile mais puisqu'on vous dit que le noir et le blanc sont des couleurs ! "Et forcément, l'oeil cherche sans savoir ce qui lui manque... ou non" me dit Gari.