Votez "Mister No" !
Demain, vous n’aurez pas la main tendue au-dessus d’une urne mais, peut-être, l’esprit ailleurs, détourné de l’autre côté de l’Atlantique. Les élections à la Maison-Blanche vont mobiliser les médias du monde entier et comme l’eau de l’Auzette se perd aussi dans l’Atlantique, je me devais de contribuer à cette cérémonie. À ma manière. Vous, vous avez peut-être fait votre choix : Obama ou McCain… Moi, j’hésite encore entre le jeune beau Robert Redford dans « Votez McKay (The Candidate) » et le trop honnête Walter Huston dans Gabriel over the White House.
Votez McKay
The Candidate, film américain de Michael Ritchie, 1971.
Diffusé sur Cinécinéma Star, mercredi 5 novembre 2008, à 20h45 (durée : 110 minutes).
Avec Robert Redford (Bill McKay), Peter Boyle et Melvyn Douglas.
Je profite de la quasi-homonymie entre McKay et McCain pour me rappeler de ce film aujourd’hui. Mc Kay, the better way… ou comment un homme politique résolu à améliorer la vie de ses contemporains laisse son âme dans un système électoral américain qui sème le show-biz dans la politique. « Votez McKay », en 1971, ouvre la voie à notre cinéma désormais prompt à flétrir à gros traits les mœurs et les figures politiques (cf. le dernier Karl Zéro ou le dernier Oliver Stone sur W.). Cependant, les magouilles électorales ne sont pas le sujet central de ce film subtil : la version française du titre est donc mauvaise. En effet, la caméra est plutôt centrée sur le « Candidat » et la perte inévitable de son innocence au cours de sa campagne. D’où la tirade de son clan, à l’issue d’un débat électoral :
« Vous avez été magnifique. Nous savons tous que vos projets sont irréalistes,
mais l’important, c’est que l’on vous ait cru ! ».
Cette œuvre est à la fois lucide et cynique. McKay, juriste idéaliste, démocrate plus sympathique (et Robert Redford, tout de même !) que son rival républicain, remporte la victoire. Mais nous avons vu, alors, tout ce qu’il avait perdu (en son âme et conscience). Les auteurs de ce film ont pris pour modèle, paraît-il, de jeunes candidats dynamiques et non conformistes : John Kennedy, son frère Robert et John Lindsay. Dans le cinéma, le président des États-Unis s’est démultiplié pour sauver le monde, et il prit de nouvelles couleurs. Blanc ou noir, le nouvel hôte de la Maison-Blanche risque de faire tourner encore plus les têtes et les caméras. Mais est-ce que c’est la fiction qui rejoint la réalité ou la réalité qui sera transformée en fiction ? Eh bien votons la tête à Redford pour nous enlever l’eau de la Bush.
Gabriel over the White House
Film américain de Gregory La Cava, 1933, en noir et blanc.
Diffusé sur France 3, le dimanche 2 novembre 2008, à 0h15 (durée : 85 minutes).
Je n’ai pas vu ce film. Il date de 1933, l’année où Hitler fut nommé chancelier. C’est une époque de « crise », de chômage, de prohibition et de banditisme. Ce film nous rappelle donc l’importance (ou non) d’une élection et la responsabilité du locataire de la Maison-Blanche dans les affaires du monde. Nos affaires actuelles, justement, ne sont pas très roses, et beaucoup espèrent l’élection d’un noir : mais tous ces sourires affichés sur les visages, est-ce que ce sont vraiment des sourires d'espoir, des sourires d'une joie réellement partagée ?
La première partie du film nous présente Judson C. Hammond (interprété par Walter Huston), élu à la présidence des États-Unis dans les années 1930. Suite à un accident de voiture, il tombe dans le coma et se réveille transformé : il se décide enfin à prendre les problèmes du pays en main. Sa secrétaire, Pendola Molloy (interprétée par Karen Morley), s’explique ce changement ainsi : un ange se serait incarné dans le corps du président ! Mais qu’est-ce qu’un président qui agit et tient vraiment ses promesses ? Imaginez un dictateur qui demande les pleins pouvoirs, met en place la loi martiale et impose… la paix universelle en réclamant le désarmement de toutes les nations ! Même pas en rêve ! Alors dans la réalité du pouvoir ? Nous savons maintenant que le miracle n’a pas eu lieu. Démocraties et dictatures se sont affrontées de 1939 à 1945 et ont créé les armes les plus terribles, jusqu’à la bombe atomique. Aujourd’hui, d’autres démocraties, d’autres dictatures, d’autres conflits, d’autres armes…
Le producteur de ce film soutenait Roosevelt, président démocrate élu en 1932. Comment interpréter cette œuvre d’une autre élection ? Est-ce une mise en garde contre le fascisme sinon une insolente blague sur l’impossibilité de rester démocrate quand on exerce, vraiment, le pouvoir ?
« Il est si honnête qu’il en paraît fou. »
dit le secrétaire de la Maison-Blanche (interprété par Arthur Byron)
Cette cynique définition de la bonne volonté politique, ce film passionnant dans son ambiguïté, nous en avons retrouvé des échos dans le candidat de « Votez McKay » et nous devrions en retrouver encore dans les prochains films qui s’inspireront de ces dernières élections.
Gregory La Cava (1892-1952), du sang calabrais dans les veines, fut d’abord boxeur sous le nom de Kid McVey « charmant, mais capable de frapper son meilleur ami », dessinateur humoriste puis un des pionniers du dessin animé. En tant que cinéaste, il réalise d’un côté des comédies loufoques, genre dont il est l’un des maîtres incontestés ; de l’autre, des drames ou des mélodrames.
Ses comédies :
Mon Mari le patron (She Married her Boss, 1935)
Mon Homme Godfrey (1936) est son seul film vraiment célèbre.
La Fille de la Cinquième Avenue (1939).
Unfinished Business (1941).
Living in a Big Way (son dernier film, 1947, avec Gene Kelly).
Ses comédies sont plus acides que les celles de Capra et tendent à renvoyer dos à dos exploitants et exploités, riches et pauvres, capitalistes et révolutionnaires.
« Les riches ne sont que des pauvres avec de l’argent.»
La Cava partage avec McCarrey le sens du gag improvisé pour adoucir la satire de son propos.
Ses films « sérieux » :
Symphony of Six Million (1932), adaptation d’une histoire juive de Fannie Hurst.
Mondes privés (1935).
Pension d’artistes (Stage Door, 1937) avec Katharine Hepburn et Ginger Rogers.
Dans Primrose Path (1940), où l’on passe sans cesse de la gravité à la fantaisie la plus débridée, une fille de prostituée tente d’avoir une vie meilleure que sa mère. C’est l’un des plus beaux films de La Cava, dans lequel il trace son autoportrait à travers le personnage du père de l’héroïne, alcoolique, lettré et philosophe mélancolique qui conseille à sa fille :
« Ne laisse pas tes rêves s’envoler, après il ne restera rien.
Si tu les laisse partir, il faudra t’en inventer d’autres et ils ne seront jamais aussi bien. »
L’alcoolisme – thème souvent présent dans ses films, comme le suicide – met à sa vie et à sa carrière un terme précoce. La Cava est un grand laissé-pour-compte de l’histoire d’Hollywood. Il s’éteignit à 60 ans dans une indifférence à peine troublée par la présence de Katharine Hepburn (la seule star à son enterrement). Les studios furent ravis d’oublier ce génial alcoolique qui leur en avait tant fait voir (il était surnommé « Mister No » car il refusait les ordres). Adepte de l’improvisation, il préférait tourner sans scénario et disparaissait des tournages pour des beuveries de plusieurs jours.
Dans les films de La Cava, les hommes sont au mieux rêveurs, au pire mollasson, comme ce Judson Hammond, le président des États-Unis incapable de prendre une décision dans l’étonnante fable politique Gabriel over the White House. Ce sont donc les femmes, battantes, faussement naïves, qui balancent les bons mots et ouvrent les vannes lucides. La Cava a gâté Constance Bennett, Carole Lombard et surtout Ginger Rogers qui lui doit de beaux rôles à contre-emploi. Dans Pension d’artistes, elle interprète une pauvre actrice débutante et affronte une riche fille à papa (Katharine Hepburn et son vison) qui veut aussi monter sur scène. Film plus humain, moins misogyne, que The Women, de George Cukor.